« Trait d’union »
Un trait qui lie
Unir en tenant séparé
Une frontière entre deux sens qui en crée un nouveau
Un avant et un après comme le langage dont il est issu, un point et un autre assemblés
Une direction, un chemin, le trait comme une attache, une ligne (de conduite), un fil (d’Ariane)
Le trait d’union est l’objet de toute exposition collective. Confrontation des artistes entre eux, de leurs univers, de leur approche de l’art, mais aussi des pratiques artistiques
Claudie Dadu (dessin), Fran Sieffert (sculpture/installation), Arnaud Théval (vidéo), et Benjamin Guérin (gravure)
Les dessins pornographiques de Claudie Dadu sont réalisés à partir de ses propres cheveux récupérés au jour le jour, cheveux morts qu’elle ramène à la vie en en faisant la matière de frontales et pourtant si sensibles scènes charnelles.
« L’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort. »
Quasiment aucun visage : les lignes, fines et fragiles, n’incarnent que les parties intimes où l’essentiel se cache. Cet essentiel ne tient qu’à un fil : il faut s’approcher pour le voir, suivre ses inclinations, ses sinuosités. Comme le sexe.
Les organes des amants ne font plus qu’un par leurs entrelacs. Le contour d’une main devient un téton, le contour d’un ongle devient le clin d’œil d’une vulve.
Dans nombre de cultures, le cheveu symbolise l’érotisme. Claudie Dadu en fait un trait d’union charnel en redéfinissant les limites du dessin.
L’installation « Icare » de Fran Sieffert représente un buste et des ailes gravés et séparés, le premier en élévation et les secondes posées sur un drap orné de plumes sacrifiées
Icare, la sculpture : un rêve d’éternité, heurté (ou caressé) à l’éphémère.
La mythologie, aussi, à savoir l’enseignement des fondements de la société, l’explication de nos quotidiens, à travers des histoires, généralement divines, auxquelles ils sont liés
Chez Fran Sieffert, tout est confrontation, découverte.
Les matières : de la dureté de la pierre à la fragilité des plumes et du plissé des draps.
Les époques : de l’héritage artistique du marbre et du bronze, à la modernité de l’installation.
Tout l’enjeu des mythes est dans ce qui nous sépare et nous unifie aux dieux. Fran Sieffert, en gravant Icare dans du marbre, lui rend enfin justice.
Telle la femme de Lot, immortalisée par sa vision enflammée.
L’exercice spirituel (et sa rencontre) est aussi présent dans le travail de Benjamin Guérin.
Son procédé consiste à graver de manière répétitive des lignes sur des planches. Il s’agit de la ligne première, d’avant l’écriture c’est-à-dire d’avant la faute –d’orthographe.
C’est un sillon ; elle ne s’écrit pas mais s’inscrit, à la fois Art et Littérature.
Tranchées noires sur planches noires, les lignes adoptent la lumière selon leur direction et plus précisément dans la répétition de leur élévation, rompant avec l’horizontalité. De même que leur direction crée une autre direction, les lignes créent la lumière (la prière) et la lumière crée les lignes.
Dans cette exposition, Benjamin Guérin présente ses planches sous la forme de triptyques, selon la traduction de la peinture religieuse.
En faisant ainsi référence à la Sainte Trinité, il nous livre une variation du « trait d’union spirituel. »
Sainte Trinité, Dédale et Icare : la thématique du Père et du Fils parcourt l’exposition, jusqu’à devenir centrale chez Arnaud Théval.
L’installation « De Père en Fils » est composée de deux vidéos, montrant dans l’une le père et dans l’autre le fils (Arnaud Théval lui-même), occupés aux mêmes gestes quotidiens.
Le procédé a pour but la comparaison du différent et du même au sein de la filiation.
Nous assistons à la confrontation des différents traits de personnalité, des traits des visages, comme un jeu.
Eventuellement aussi comme une prophétie.
Mais il n’est pas de prophétie sans mémoire ; ces deux vidéos sont avant tout une étude sur la compréhension d’un héritage, et sa reconnaissance.
L’union filiale qui se dévoile pour mieux affirmer les identités –qui se déploient enfin, hors-champ.
N’est-ce pas là aussi le but d’une exposition ?
Tenir liés entre elles les identités afin de dessiner les contours d’un nouveau sens. Un nouveau sens qui, peut-être, par le biais de ses correspondances, serait de l’ordre du poétique.
Hannibal Volkoff