Limons (de limo terrae)
Cette matière fluide et indomptable si caractéristique des peintures d’André Guenoun (eau mélangée aux pigments colorés acryliques et à l’encre de Chine sur un papier ultra lisse) évoque pour moi les motifs géologiques captés par la photographie scientifique : cours d’eau s’insinuant dans la roche, sable poussé par le vent, lit de rivière asséché, dépôts sur les berges, glaciers et mondes marins ; tout cet inventaire de formes et de couleurs que nous livrent les observations scientifiques, est visible par analogie sur les papiers travaillés de l’artiste. Ainsi sont décrits les phénomènes observés dans le paysage :
«Les écoulements dit fluidisés sont des écoulements turbulents dans lesquels l’attraction de la gravité sur les particules solides présentes dans la coulée est compensée par les frottements dus à des mouvements verticaux du fluide qui les entoure. Les particules restent en suspension dans le fluide.»
L’artiste organise ses travaux avec méthode et réflexion, ajuste ses outils précisément, part de maquettes de taille réduite – dessins préparatoires, études de formes-, dilue des pigments, prépare les teintiers sur des languettes de papier collées au mur de l’atelier, où chaque outil est rangé méticuleusement, choisit les pinceaux qui conviennent pour le format du papier et trace au crayon les contours d’une forme préalablement décidée sur laquelle il va déposer les encres de couleur choisies par affinités qui recouvriront la totalité de la surface. Le rouge, le jaune, le vert, le bleu, ne seront plus jamais purs car s’additionne l’encre noire de Chine qui bouscule la perception première de ces couleurs. La palette s’assombrit puis s’éclaircit au fur et à mesure que l’encre sèche et se répand d’un bord à l’autre du papier. Le gras (encre de Chine) et le maigre (encres acryliques) se repoussent et effectuent alors un trajet propre à l’intérieur de l’œuvre qui jamais ne se laisse totalement domptée. L’artiste admet que l’œuvre se poursuit sans lui et sans repentir.
La terre et le corps : « …il est dit par les sages, que l’homme est un microcosme contenant en lui-même les éléments dont l’univers est rempli …Il tient en effet la chair de la terre, de l’eau le sang, de l’air le souffle, du feu la chaleur…» Homme terrestre et géologique: « la biologie cellulaire peut se comparer au géologique avec ses motifs récurrents, sorte de paysages premiers : volcans, déserts, montagnes, et cosmos. »
Au fil du temps, des figures se détachent. André Guenoun détermine et isole au centre de la feuille, des blocs de couleur dessinés, aux contours plus sculptés que fluidifiés.
D’un paysage métaphorisé par les traces et les fluides, l’artiste déconstruit son espace au profit de volumes aux couleurs vives qui traversent dynamiquement la feuille blanche, purs fragments colorés.
Florence Chevallier
Saint Germain des Près
Juin 2024