Au fil des dernières années, le jeune Kiki Xue a su s’imposer, à travers ses portraits explorant toute une Histoire de l’esthétique, comme l’une des principales figures émergentes de la photographie de mode dans le monde entier. Sa première exposition à la Galerie Hors-Champs, « Beauté : un point de basculement » (2015), traitait de l’éveil, donc du trouble, de la beauté par sa confrontation dialectique avec son contraire (le morbide, le bizarre…). Il nous revient avec d’autres points, de suspension cette fois-ci, peints en dripping sur de grands papiers de Chine.
Cette série est composée de 15 tableaux abstraits entièrement tapissés des tâches de la peinture s’écoulant du pinceau de Kiki Xue, tâches parsemées de part en part d’autres dans une composition uniforme où l’ambiance d’une teinte dominante est adoucie par des touches blanches et/ou de teintes opposées.
La manière méticuleuse de disperser les points semble relever du procédé pur (le pointillisme), d’une technique obsessionnelle qui s’apparenterait à de la froideur, mais de même que les détails, la vie de chaque point, se dissolvent dans l’ensemble comme des gouttes dans un océan, le procédé lui-même finit par se mettre en retrait au profit de l’instinctif et de l’émotion. Les tableaux sont en effet des projections correspondant aux nuances des sentiments et des humeurs ; tout un univers psychique à l’apparente simplicité mais dont la texture est une complexe superposition de couches et de tonalités.
Et, fidèle à l’héritage de la poésie asiatique, chez Kiki Xue l’état psychique devient respiration des éléments, évoque les saisons et l’énergie qui les caractérisent, le roucoulement des ruisseaux, le bruissement des pétales sur la roche ou des flocons enchantés. Cette ébullition des couleurs, c’est le temps qui se suspend, un point de ce temps fixé dans son mouvement vers l’ailleurs. Le travail de Kiki Xue est de montrer la fourmillante multitude qui compose, qui porte cette suspension.
Une sélection de photographies accompagne les peintures. Elles invitent à mettre en perspective ces dernières dans le prolongement de l’œuvre jusque là photographique de Kiki Xue. Déjà, avec sa série de fleurs, la tentation de l’abstrait émerge comme un envers de la mode, soudainement si charnelle, si périssable, voire blessée. Les points deviennent jeune bulle de chewing-gum prête à éclater au monde ou nénuphars berçant le funeste sommeil d’Ophélie. Confrontés à ce garçon au couteau, ils deviennent tâches de sang ; et pour la jeune fille dans l’eau, ils s’imprègnent de mélancolie ou de sérénité, un espace mental comme un monde flottant Ils sont la rêverie de ces figures, comme une échappée où se lover.
Hannibal Volkoff