Léolo Victor-Pujebet Cinéaste, plasticien, photographe. Léolo Victor-Pujebet vit et travaille à Paris. Avec son compagnon et complice Mathieu Morel, il forme depuis 2014 un duo inséparable. Ensemble, ils inventent une œuvre radicale où romantisme et pornographie se contaminent.
En photographie, Léolo développe une esthétique de l’image blessée : clichés érotiques collectés, froissés, gravés, déchirés, transformés. Ses séries Back to the Room et Une idée du mâle interrogent les backrooms, l’imaginaire homosexuel clandestin et la fabrique du fantasme. Son travail a été exposé à plusieurs reprises à la galerie We Are Village (Berlin) et dans l’exposition Et Gaultier créa l’homme (2025). En septembre 2025, il présente sa première exposition personnelle à Paris : L’Œillet Vert, à la Galerie Hors Champs.
Au cinéma, il signe The Day I’ve Been Fucked in Front of the Entire World (2021), présenté à la Cinémathèque française, au Silencio et au Fresnoy, puis Le Corps du Délit (2022), film radical-romantique inspiré par Genet et Geoffroy de Lagasnerie, avec Mathieu Morel, Denis Lavant, Bertrand Bonello, Mathieu Carrière et Éric Genovèse, montré à la Cinémathèque française, à la Villa Arson et dans de nombreux festivals.
Avec Mathieu, il fonde HORSCHAMP, structure mutante où ils invitent des figures du cinéma, de la photographie et de la pensée contemporaine : Alejandro Jodorowsky, Larry Clark, Raymond Depardon, Harmony Korine, Didier Eribon, Miguel Gomes, Lolita Pille, Wang Bing… Il a collaboré avec Christophe Honoré, Romane Bohringer, Fabienne Berthaud, Bruce LaBruce, et performé avec Mathieu Morel dans The Visitor à la Berlinale 2024.
Actuellement, il développe un triptyque documentaire composé de trois portraits expérimentaux : un film sur le cinéaste Bertrand Bonello, un portrait du philosophe Geoffroy de Lagasnerie (avec la participation d’Édouard Louis, Emmanuelle Béart, Rachida Brakni) et un film autour du peintre Simon Buret.
« La honte est une langue paternelle », est-il écrit sur une photographie de fellation, d’un pénis fourré dans la bouche d’un garçon au-dessus de laquelle cinq petits traits sont barrés comme pour signifier l’enchaînement des amants. Ce serait le langage du Père qui transmet la honte. Ce langage, cette langue, cette salive étrangère qui nous pourlèche dès les balbutiements de l’éducation, est forcément libidinal. Voilà une chose que nous pensons primordiale à rappeler : l’ordre normatif, la « morale sexuelle naturelle », c’est-à-dire l’institutionnalisation du contrôle du corps d’autrui, a toujours été pour l’individu homosexuel une langue intrusive se faufilant dans ses orifices comme une déclaration de guerre. Il y a du désir derrière la condamnation, camouflé. « Tuer le père », dit-on : s’approprier son propre désir pour contre-attaquer celui de l’oppression fondant la straight culture, en faire aussi une arme. La culture homosexuelle a toujours revendiqué l’exhibition sexuelle parce que justement elle devrait en avoir honte. Une esthétique de la pornographie frontale s’impose : montrer ce qui est condamné est une démarche politique.
L’exposition du photographe, plasticien, réalisateur, Léolo Victor-Pujebet a pour titre « L’œillet vert », nom d’une fleur qu’Oscar Wilde portait à sa boutonnière, devenue alors symbole de reconnaissance pour les homosexuels de l’Angleterre victorienne. On y trouve des images de garçons enlacés, de sodomie, de masturbations, de backrooms aux slings étroits ou de chambre aux motifs abstraits.
Plusieurs séries sont présentées. Léolo Victor-Pujebet nous a expliqué qu’à 18 ans, il a découvert les charmes de ces sombres salles de rencontre que l’on nomme « backrooms », et qu’à chaque homme qui lui proposait ses doux effleurements intimes, il acquiesçait sous condition qu’il accepte d’être pris en photo pendant l’acte, dans la cabine. Cela donne la série « Back to the room », où lui, son amoureux Mathieu que l’on reconnaîtra régulièrement, et leurs partenaires baisent en tout sens. Elle est en noir et blanc, imprimée sur du papier industriel qu’il chiffonnera pour ensuite la scanner et l’imprimer à nouveau sur aluminium, sur lequel il grave textes, dessins, signes poétiques, comme appelés par les souvenirs d’étreintes. « Back to the room » : retour à la chambre. On peut se demander par ce titre si Léolo n’est pas puni par son père, obligé de se tourner les pouces dans sa chambre. Justement, sur une des photos est écrit « Chambre d’enfant », mais c’est autour de la bite que les pouces tournent, devant un sling dessiné, comme imaginé par l’enfant châtié. L’imagination fait corps avec la punition, elle érotise cette dernière, en fait une armure où ce qui est infligé devient jouissance. Ainsi, sur le visage de l’amoureux sont ajoutées dents pointues et cornes érectiles, et aux silhouettes soumises s’ajoutent les mots suivants : « Il m’a appris la tendresse avec une ceinture », « Je bande mieux quand j’ai peur » ou encore « il ne voulait pas jouir, il voulait marquer ». Sanctions, ceintures, menaces font écho au chiffonnement et au marquage des photographies. Leur métamorphose affirme la réappropriation de la violence extérieure en jeux de désirs et de partages, charnels, sadomasochistes, romantiques. Le froissement crée de nouvelles formes, dunes brumeuses à caresser, retenant la lumière et rejetant son haleine dans les recoins obscurs des backrooms. Le marquage, quant à lui, redessine les contours flous des amants, en fait des motifs, une gestuelle fantasmagorique, des incarnations coctaliennes. Nous le savons bien : il faut toujours salir l’hygiénisme de la libido normative pour découvrir en son envers la beauté et la vérité qu’elle tente de camoufler.
À ces apparitions fantomatiques s’ajoute la flamboyante série « Une idée du mâle ». Les couleurs sont cette fois-ci éclatantes. Là où le noir et blanc de « Back to the room » évoque un espace caché où s’impriment des stigmates, cette série, à nouveau pornographique, explose de joie dans ses vives couleurs ajoutées a posteriori après passage au négatif (encore une fois l’envers !). Les images sont des montages où parfois Léolo Victor-Pujebet ajoute à ses propres rencontres sexuelles des fragments d’autres photographies récupérées par-ci par-là, de corps jeunes, athlétiques, gréco-romains. Leur bouillonnement de couleurs est fait de ce qui les traverse : jouissance triomphale, sensations extasiées, chaleur intime. Elles sont une élégie et l’on pourrait presque dire : un manifeste propagandaire. Mais nous pensons que Léolo préférera parler de chant, voire de prière – un Alléluia, oui.
Anus jaune ensoleillé bâillant entre deux fesses vertes, urine s’écoulant le long d’un entonnoir relié à une bouche ouverte, ou encore anulingus aux tatouages multicolores. Chacune des images est composée de deux de ses tirages confrontés avec une déchirure qui se veut voyante. Il s’agit encore une fois d’abîmer la scène, de lui faire violence, et avec de tels corps ce serait dommage de se priver. Pour Léolo et pour beaucoup d’entre nous, vous l’aurez compris, un coup de fouet sur une délicieuse courbe en décuple le charme. Il y a 7 tirages pour chaque image, avec une déchirure qui ne sera jamais tout à fait la même ; votre coup de fouet à vous ; mais aussi une caresse puisque cette ligne blanche, crevasse de séparation, nous rappelant que nous ne sommes jamais totalement avec l’autre, que la complémentarité n’existe pas, cette cicatrice blanche frôle le plus souvent les contours des corps avec délicatesse, une affection souriante, et parfois les fait même s’absorber les uns les autres.
Quelques photographies enfin proviennent des séries hommages à des films, Fireworks de Kenneth Anger, et le premier film pornographique vu par Léolo Victor-Pujebet, à ses 14 ans, dont nous avons oublié le titre. Il a simplement pris en photo l’écran, a agrandi certaines parties du plan, en a quelque peu modifié la netteté, les couleurs et le contraste. Ces séries parlent du souvenir, de ce qui, dans la contemplation précoce de ces images là, a pu naître de fondamental pour Léolo. Un nouvel horizon, de découverte ou de reconnaissance.
Mais il ne s’agit pas que de ça. Il s’agit avant tout de souligner l’importance de l’héritage et de la transmission. Celle des luttes de nos aînés, de leur langage, de leurs expériences risquées, de leurs émotions cachées, et de l’esthétique de ces derniers inventée et développée décennie après décennie. En tant que réalisateur homosexuel, Léolo Victor-Pujebet préfère ne pas cacher ses références à ces images qui l’ont bouleversé, celles de Wilde et de Cocteau, d’Anger et de Warhol, auxquelles renvoient les couleurs pop de la série « Une idée du mâle ». Dans cette dernière, d’ailleurs, l’image se double régulièrement, comme si elle était encore en montage, comme si une autre allait s’ajouter, mouvoir encore la tradition underground queer. Nous pourrions d’ailleurs noter cette idée qu’a eue Léolo pour son exposition à Berlin : de proposer à chaque client, en plus de la photographie, une fellation. Ou l’art homosexuel comme transmission d’images, mais aussi de jeux ludiques, de désirs, de joies provocatrices aux antipodes des normes moralistes.
Hannibal Volkoff