Lorsque je me plonge, chez moi, dans les entrelacs tentaculaires d’internet à la recherche de denrées exposables, de pistes signifiantes, d’accords harmonieux d’artistes –il s’agit souvent de l’après-midi –j’ai le nez collé à mon écran et d’un œil je vois le ciel, je vois cette journée à laquelle j’ai si peu accès par la fenêtre. Elle donne sur une cour avec jardin privé. A quoi ressemble ce dernier ? Il m’était alors impossible d’y répondre, les branches d’un arbre comme des ailes déployées m’en cachaient l’accès. Ainsi, quand je tournais en rond dans mes heures de travail, ma concentration s’échappait, souvent pour s’oxygéner, par ce jardin masqué que j’imaginais.
L’idée de faire de cette image manquante une exposition m’est venue alors qu’elle s’affirmait comme une esquive, une échappatoire à mon travail. Les esquives ont toujours été un riche sujet d’exposition. On peut tout inventer dans un jardin invisible.
L’organisation de cette exposition ne m’a pas pris beaucoup de temps, mais d’un jour à l’autre, ces derniers prenaient de nouveaux profils, parfois rayonnants, parfois sinistres, ou hésitants entre les deux. Il m’a semblé que le choix des artistes devait témoigner de ces changements. La date de l’expo se fixant le mois du 14ème anniversaire de la Galerie Hors-Champs, j’ai pensé que notre jardin s’imaginerait dans l’ambiance de Jérôme Bosch, c’est-à-dire par association d’images oniriques, douces ou violentes, charnelles, animales, entre le paradisiaque et l’horrifique, un parcours de scènes paradoxales dont nous ne donnerons pas la clef. Ce qui est masqué reste une serrure fermée, et par là donc un songe.
Les artistes sélectionnés sont le peintre et dessinateur François Andes, le peintre Alex Huthwolh, et la photographe Vanda Spengler. Nous épouserons leurs visages sortant de la terre, devenus eux-mêmes masques rêvant d’autres masques, devenus eux-mêmes des jardins où ils se mêlent au chatoiement des feuilles et des herbes labyrinthiques, des tiges indiscernables des plumes et des fourrures, des corps-apparitions à découvrir, étreindre et parfois à fuir.
De leur assemblage se réveillent des souvenirs ancestraux, de l’ordre du mythe, du verset intraduisible –lorsque nous n’étions pas séparés, quand nous formions un tout avec le monde. Mais ils peuvent aussi relever du signe prophétique, parce que nous nous plaisons à croire que nos rêves ont des qualités prémonitoires. Nos trois artistes seraient alors les trois sorcières de Macbeth. A nos 14 ans, entamant notre puberté, nous choisirons de nous laisser guider par leurs prédictions. Ce qui se cache derrière la branche qui camoufle le jardin, derrière les paupières qui s’évadent dans le sommeil, n’en grouillera que plus intensément de ses multiples masques à emprunter, à cheminer ensemble.
Hannibal Volkoff