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Artiste(s)

Damien Comment
Natacha Ivanova
Florence Martin
Sarah Navasse Miller

Lieu d’exposition

20 Rue des Gravilliers,
75003 Paris

Galerie Hors Champs, Paris
10 mars 2020 au 3 mai 2020
Vernissage le : 12 mars 2020

La chasse du cerf

La chasse du cerf
Damien Comment, "La Chasse est ouverte ", technique mixte sur papier, 285 x 109 cm, 2007

En vagabondant parmi les archives d’artistes retenus dans mes combinaisons potentielles d’exposition, dans les conversations imaginaires que j’imagine entre eux et les prolongements narratifs que proposent leurs associations, je me suis rendu compte que chacun d’entre eux s’était attardé, à un moment, sur la figure du cerf.

Surpris par ce soudain kaléidoscope de cervidés s’attroupant de tout horizon, je me suis cru alors engouffré dans une injonction synchronistique : le cerf me demandait une exposition. Soit. Mais comment parler du cerf, qui est-il, qu’a-t-il à raconter exactement ?

Dans sa dimension symbolique, il correspond à une présence mystique. Il est une apparition surprise dans les tréfonds d’un espace sauvage et dont la vision agit sur l’intrus telle une révélation. Cette dernière peut être un message pacifié, l’expression d’une force extérieure trônant dans sa sagesse. Mais elle peut aussi devenir l’envers de ce message, celui d’une violence réveillée en nous comme un présage caché –ou comme le prolongement de la violence sociale. On s’adonne au cerf, ou on le chasse. C’est en me plongeant dans ces pensées que je me suis rendu compte que quatre des artistes que je scrutais, Damien Comment, Natacha Ivanova, Florence Martin, et Sarah Navasse Miller, parlaient, chacun à sa manière, de chasse.

La chasse du cerf
Natacha Ivanova " Boy By the River ", peinture à l'huile sur tuile, 140 x 100 cm, 2017
La chasse du cerf
Sarah Navasse Miller, " Le Chat Et La Souris II ", graphite sur papier, 33 x 50 cm, 2019

L’exposition devient alors une forêt. La dimension symbolique de la forêt ? Là où l’on se perd, évidemment, mais aussi là où l’on se cache. Territoire sombre où la lumière et les corps sont filtrés par l’épaisseur des arbres, et où peut surgir à tout moment l’inattendu. La forêt dans l’art est l’outil par excellence de « l’espace-autre », lieu de la profondeur où l’on s’échappe des liens sociaux pour, confronté à l’ordre inhospitalier de la nature, se livrer à l’intime. Elle est un corps en elle-même, avec ses recoins obscurs, ses douloureux traumas, et sa jouissance secrète. C’est cela qu’il faut chasser, la chair dans son état de liberté, épousant ses pulsions érotiques, se réjouissant de ses désirs. Des garçons se roulent des pelles, des groupes de jeunes gens s’emmêlent joyeusement, de plus vieilles silhouettes sont convulsés par l’orgasme et les enfants, figures plus solitaires, se consacrent à la masturbation. Tels les cerfs métamorphosés par des dieux courroucés, la chair est possédée. Des oiseaux en sortent même des orifices ! Il faut enfiler son armure et partir à l’assaut, lâcher les chiens, lancer des explosifs !

Mais quand la civilisation déclare la guerre aux pulsions, il lui arrive de découvrir que ses armes découlent des mêmes fibres qu’elle pourchasse chez ses proies. Mettre le feu à la forêt réveille à nos visions une similaire jouissance. Le plaisir que l’on prend à la traque s’imprègne d’une sensualité irrépressible, et quand les visages crispés par l’orgasme semblent l’être aussi par la douleur, le morbide donne envie qu’on le caresse. Dans les traditions chamaniques européennes, poursuivre un cerf magique permet d’aborder l’Autre monde : ce dernier, dans cette exposition, ne sera pas composé d’esprits oniriques mais du ravissement, et de son vertige. La forêt germe dans les entrailles et pousse, contamine le corps, envahit l’habitât, s’échappe en perforant le langage. La nature s’écoule de nos membres pour se fondre avec la vie sauvage, elle devient un masque enrobant notre regard pour mieux le recentrer vers le cri originel de l’intérieur. Des tiges en bois naissent de ce masque. Le chasseur civilisé s’est transformé en animal, en loup ou encore en aigle, en arbre aussi.

Et l’on comprend alors la révélation du cerf : c’est lui qui nous assaille en se fondant en nous pour y chatoyer, de sa peinture, son crayon, son graphite, dans les œuvres de Damien Comment, Natacha Ivanova, Florence Martin, et Sarah Navasse Miller, nos pulsions orphelines. Ses cornes dressées vers le ciel comme de doux et majestueux sceptres phalliques.

Et ensuite, le silence.

Hannibal Volkoff 

La chasse du cerf
Florence Martin, " 6 Janvier 1982 ", rotring et crayon aquarellable sur papier, 20 x 20 cm, 2019

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