La troisième exposition de Silvère Jarrosson à la Galerie Hors-Champs présente les nouvelles recherches picturales nées de son univers déjà bien affirmé. Les formes abstraites, minérales et reptiliennes, célestes et granuleuses, poursuivent leur évolution par une multitude de variations, de nuances, qui se révèlent comme un prolongement de ses dernières séries, comme un même corps en devenir.
On ne saurait dire si ce corps « grandit », puisqu’il se refuse toujours à nommer ce qu’il pourrait figurer : il mute, en tout cas. La technique est la même : avant le dripping, Silvère Jarrosson prépare sa peinture selon un procédé qu’il rapproche de la subduction : en déployant une pression suffisante, il glisse une couche de peinture blanche sous une couche de peinture colorée, ce qui va la déformer à la manière d’une plaque tectonique. De cette confrontation des matières, mélangées sans fusionner, il tire un potentiel de textures qu’il lui faudra apprivoiser sur la toile.
Il en découle toujours ce magma de globules, de fractales et de sinuosités. Mais plus que jamais, Silvère Jarrosson a tenu à ce que le rendu de ses toiles témoigne des remous intérieurs qui ont rendu cette surface possible, ce phénomène simultané d’accouplement et de séparation, d’emmêlement et de fragmentation. Si l’image trouve son unité, c’est dans la cohabitation de directions indécises, d’organes entêtés à suivre leur propre chemin, de cosmos fracturés et incomplets. Ces mondes se superposent, parfois s’isolent, comme des plaques, ou des poches, que le peintre très souvent étire avec le mouvement d’un sismographe frénétique.
Si, dans les premières séries de Silvère Jarrosson, on ne pouvait s’empêcher de projeter une cartographie, comme si sa peinture y tendait, nous sommes ici dans une dynamique opposée : on croirait des images reconnaissables qui soudainement se sont brouillées. En géologie, il est constaté que l’une des conséquences du phénomène subductif est d’entraîner des séismes. Un tremblement de peinture se serait passé. Les couleurs mêmes se sont atténuées, une certaine mélancolie règne. Et puis le silence s’est imposé – mais un silence qui contient encore les tressaillements de sa conception.
Quand on parle d’abstraction, les métaphores que l’on utilise pourraient être remplacées par des émotions. Il ne s’agit pas d’énoncer à quoi ressemblent les formes, mais de localiser l’essence psychique, peut être spirituelle, de ce qu’elles évoquent. Il y a, dans cette série, quelque chose d’ancestral, d’originel, qui nous est caché parce qu’il s’est dissout en nous. De même que la mécanique des profondeurs où se créent les textures picturales se font oublier au profit de la surface de la toile, de même l’abstraction est ce réel dont nous émergeons mais qui se dérobe toujours à nous, heurté par le filtre du langage.
A nouveau, un voyage impossible dans l’espace, dans le temps, dans l’amnios du temps. Mais de ce dernier, un écho est toujours présent, et nous revient comme un murmure.
Hannibal Volkoff