On connait avant tout Hiroko Koshino pour le travail acclamé qu’elle produit dans la Haute-Couture, plus que par ses talents de peintre. Et pourtant, ce sont ses recherches picturales qui ne cessent de nourrir ses créations de mode (jusqu’à les insérer dans des robes), de guider leurs compositions, leur jeu de lignes, de textures et de couleurs.
La peinture de Hiroko Koshino puise dans l’art traditionnel japonais, pour s’orienter peu à peu vers un travail formel très personnel. La Galerie Hors-Champs a choisi de sélectionner et d’exposer, parmi l’ensemble de son œuvre, les peintures abstraites, qui sont les plus récentes et les plus représentatives du juste milieu entre l’héritage culturel qui l’habite, et une radicale contemporanéité.
La vitalité émanant de ses toiles à l’encre de chine en est simultanément l’instrument et l’objet. L’encre de chine n’utilise que le noir, elle contraint à la sobriété, à l’épuration des émotions autant qu’à l’impulsivité de son expression ; ce qui ne retire en rien l’étendue des teintes que produit son mélange avec l’eau.
Sur la toile blanche, les coups de pinceau de Hiroko Koshino s’éjectent, souvent avec violence, parfois avec apaisement. Ils paraissent danser en une savante chorégraphie, dont l’équilibre des valeurs est un support pour donner vie à un dialogue intérieur, comme des notes qui répondent au silence. Dans certains tableaux leur trajectoire, ainsi que leur masse, ne sont pas évidentes, sont faites d’imprévisibles détours, d’hésitations ; la dynamique recherchée y est formulée sans simplification mais au contraire avec toutes les nuances qui la définissent.
Les toiles en couleur, quant à elles, évoquent des paysages, leur composition fait écho à de contemplatives estampes murmurant la silhouette des montagnes, mais ils semblent cachés par de successives couches, de sorte qu’on les devine juste, derrière, comme un souvenir. Ces couches se terminent par des lignes verticales, qui prennent leur base en elles, rouges noires ou blanches dans un contraste appuyé, et qui coulent littéralement sur les directions horizontales, telle la ligne d’un paysage, des premières couches. Ce sont elles qui animent la toile.
L’effet immédiat est de l’ordre de l’organique. On peut voir dans ces coulures des veines, des ruisseaux de sang s’échappant de la toile, souvent avec violence. On peut aussi y voir un rideau végétal, de lianes ou de racines, mais chez Hiroko Koshino le corporel et le végétal se rejoignent, respirent ensemble, cherchent vers l’en bas, vers la terre, l’énergie pour s’alimenter. De même que dans le christianisme les menstrues apparurent lorsqu’Eve dû quitter le ciel (la vie éternelle) pour la terre (la vie mortelle), soudainement Hiroko Kishino engage avec les écoulements de sa peinture une méditation sur la finitude, donc sur la vie.
Car c’est bien la vie que les lignes expriment, en s’extrayant de « l’intérieur » de la toile, et qu’elles font sécréter. Elles suggèrent un ailleurs, et sont ainsi une indication spatio-temporelle, un espace qui parle du temps et un temps qui parle d’espace ; dans la mesure où ces deux notions n’existent que pour porter, par le biais de la peinture, les impressions (introspectives, souvent sombres, quelques fois sexuelles aussi) qui l’ont fait naître.
L’abstraction, chez Hiroko Koshino, est de celle que l’on voit agir, en mouvement. Les visions qu’elle porte vont et viennent en un flux salvateur, traversant sur la toile toute la gamme d’accords corporels, avec la variation d’un défilé. Elle est un témoignage.
Hannibal Volkoff