Au premier regard sur les dessins de Robinson Haas, l’œil est susceptible de les survoler, de flotter d’une pièce à l’autre comme détaché de leur matière abstraite et minimaliste. Ce que l’on semble voir, ce sont des aplats de couleurs, des monochromes, parfois en une forme affirmative contrastant avec le blanc du papier, parfois envahissant la totalité de ce dernier dans des tonalités douces et fragiles, au dégradé tenté par l’effacement. C’est en se rapprochant qu’on constatera une technique et ses variations nous invitant à approfondir ce que ce travail contient dans son minimalisme.
Les dessins de Robinson Haas sont tous composés en lignes droites tracées de manière répétitive sur le papier. Il utilise pour cela le stylo bille, le graphite, le feutre ou encore le crayon de couleurs. La première étape de sa démarche consiste à interroger son outil sur le support papier selon sa texture, son poids, sa condensation, et de faire de cette interrogation la proposition artistique en elle-même. Il a commencé avec le stylo bille, objet standardisé, populaire, né avec la mondialisation, dont il a ausculté l’encre en alignant des traits avec une règle. L’un après l’autre, ces derniers se mêlent en un même corps et leur multiplication, par leur succession et leur friction, change la couleur et amène dans ce corps de multiples variations internes.
Ce geste est devenu le processus créatif de Robinson Haas, qu’il répète encore et encore en un temps des plus étirés (plusieurs jours, parfois plus d’une semaine). Nous pouvons parler, par la simplicité de l’acte, de méditation. Chaque dessin, cependant, a sa propre cadence, sa propre pulsation : selon le médium mais aussi selon la direction du geste, rapide et vigoureux à la verticale, lent et attentionné à l’horizontal. L’artiste d’ailleurs affirme garder une profonde concentration pour chacun des traits (puisque l’erreur n’est pas possible) et nous fait remarquer la possibilité d’une frise chronologique dans leur ensemble, témoignant de ses sensations, de l’expression de son corps dans son balancement obsessionnel. Nous pouvons aisément parler de performance dans ces journées concentrées au traçage.
Après le stylo bille, plusieurs médiums ont été explorés : le crayon de couleur, révélant le grain, qui génère une vibration dans le papier, légère comme un souffle, délicate comme une caresse ; le feutre, aux superpositions beaucoup plus visibles ; et le graphite dont la graisse permet d’obtenir des profondeurs variées et de jouer sur la pression marquant le papier pour en alterner à sa guise des variations sur chaque ligne.
C’est à partir de la répétition que naît la différence. Dans la majorité de ses pièces, lorsque le dessin ne conquière pas le papier entier, il nous montre l’effet où l’outil quitte le support, opérant une courbe, toujours singulière, pouvant évoquer une maladresse mais maîtrisée, sur laquelle se fixe notre regard qui se plaît à y voir la révérence d’une herbe, attestant de cette vie difficilement distincte dont elle témoigne. Les lignes, à la droiture d’une route industrielle et à la discipline de fer, sont en quelque sorte les racines d’une périphérie émergeante telle une douce grimace dont on partage l’élan, la pulsion de vie.
Car c’est bien là l’intention de Robinson Haas : à travers un remplissage mécanique, a priori coupé de toute émotion, nous amener à nous plonger dans son temps à lui. Et de même que son minimalisme est composé de milliers de gestes, son temps est un entretemps, contemplatif, une parenthèse où l’on s’arrête, une pause mais portant en elle une danse psalmodique, ce dépassement de soi engendré par la répétition.
Hannibal Volkoff
